Parole d’experts – Loi PACTE – Juin 2018

Quand l’épargne pactise avec la retraite !

Plan épargne retraite, retraite à prestations définies et fiscalité des nouveaux régimes.

En matière d’épargne retraite, le législateur procède, depuis toujours, à des réformes successives, en améliorant (?), mais surtout en empilant et donc en complexifiant les dispositifs. Ainsi peut-on recenser, à l’heure actuelle, toute catégorie de travailleurs confondus (salariés, indépendants, fonctionnaires…), des dispositifs tant collectifs qu’individuels, liés ou non à l’exercice d’une activité professionnelle, comme les « Madelin », les « Préfon », les « Article 83 », les « Article 82 », les « Article 39 », les PERE, les PERCO, les PERP, mais également, même si ce n’est pas là son objet premier, l’assurance-vie classique qui reste très souvent utilisée comme un produit d’épargne retraite.

Il résulte de cette multiplicité une incompréhension généralisée des épargnants sur la nature et l’étendue de leurs droits, sur les caractéristiques des dispositifs dont ils relèvent, et sur les avantages / inconvénients des différents systèmes auxquels ils peuvent prétendre. Courage à celui qui a eu la lourde tâche d’expliquer l’intérêt de mettre en œuvre tel ou tel dispositif dans l’entreprise !

En ce domaine comme dans d’autres, le Gouvernement entend procéder à une simplification radicale des dispositifs permettant de constituer une épargne en vue de la cessation d’activité professionnelle.

Outre la future rationalisation des régimes de base (dont l’actualité prouve l’enjeu sociétal majeur) et la fusion au 1er janvier prochain des régimes complémentaires de l’ARRCO et de l’AGIRC, la future loi relative à la croissance et à la transformation des entreprises dite « PACTE » ambitionne d’harmoniser les produits d’épargne retraite supplémentaire, tout en les rendant plus attractifs, plus concurrentiels et plus protecteurs des épargnants (I).

Par la même occasion, cette loi ne servirait finalement pas de véhicule de transposition de la directive européenne 2014-50/UE du 16 avril 2014 dite « Mobilité », mais elle autoriserait le Gouvernement à y procéder ultérieurement par voie d’ordonnance (inutile de revenir sur le délai de transposition qui a expiré le 21 mai dernier…) (II).

1. Un socle minimal commun : le nouveau « plan d’épargne retraite »

Insérée au sein du Code monétaire et financier, une nouvelle règlementation du plan d’épargne retraite serait édifiée. Elle regrouperait, en les uniformisant, les simplifiant et les assouplissant, les principales caractéristiques des anciens produits d’épargne retraite existants, pour créer un socle minimal commun à tous.

La possibilité offerte au retraité de sortir tout ou partie de son épargne sous forme de capital est sans doute la modification phare de la réforme

La principale nouveauté, vivement débattue et critiquée par les professionnels de l’assurance, résiderait dans la possibilité offerte au retraité de sortir tout ou partie de son épargne sous forme de capital. C’est sans doute la modification phare de la réforme, laquelle devrait conduire à développer l’attractivité de l’épargne retraite dont la contrainte de la liquidation en rente viagère semble aujourd’hui responsable du désintérêt au profit de l’assurance-vie.

Par principe, la sortie en capital serait toutefois limitée à l’épargne provenant des versements volontaires du titulaire et des sommes issues de l’intéressement, de la participation, du compte épargne temps ou des jours de repos non pris. A l’inverse, les cotisations patronales et salariales obligatoires versées dans le cadre de régimes d’entreprise resteraient, quant à elles, systématiquement converties en rente.

Pendant la phase de constitution, les cas exceptionnels de liquidation ou rachat anticipés seraient également alignés pour tous les plans d’épargne retraite. La liste envisagée regroupe les hypothèses existantes en matière de PERCO d’un côté et de contrats d’assurance retraite de l’autre, mais tout en continuant à exclure l’acquisition de la résidence principale pour le rachat des cotisations salariales et patronales obligatoires.

Dans le même sens, les modes d’alimentation deviendraient identiques pour tous les plans. Ainsi, trois types de versements seraient prévus : des cotisations salariales et/ou patronales obligatoires, des versements volontaires du titulaire et des sommes issues de l’épargne salariale, du compte épargne-temps ou des jours de repos non pris. Ces sommes seront, par défaut, investies en « gestion pilotée », c’est-à-dire de manière à réduire progressivement les risques financiers pour le titulaire.

« Autre mesure de simplification forte, très favorable aux épargnants : la transférabilité de tous les plans d’épargne retrait vers tout autre plan »

Autre mesure de simplification forte, très favorable aux épargnants : la transférabilité de tous les plans d’épargne retraite vers tout autre plan, permettant ainsi à chacun de rassembler son épargne à chaque étape de sa vie professionnelle. Cela éviterait de cumuler une multitude de produits au cours de la carrière, aboutissant, au terme, à une épargne totalement diluée sur de nombreux supports, dont certains pourraient même être oubliés et abandonnés. Il conviendra néanmoins de garder l’identification de la provenance initiale des sommes au fil des transferts pour en conserver les particularités en termes de rachat et de liquidation. Les frais afférents à ces transferts seraient limités à 3 % des droits acquis, voire totalement supprimés à l’issue d’une période de cinq ans.

On regrettera toutefois que dans les projets de texte qui circulent, il ne soit pas envisagé de résoudre la délicate question du fait générateur de ces transferts, et les débats encore vifs sur les modalités de transferts collectifs. L’actuelle terminologie, pourtant sujette à des interprétations divergentes, selon laquelle les droits individuels « ne sont transférables que lorsque le titulaire n’est plus tenu d’y adhérer », serait manifestement maintenue à l’identique. Les futurs débats parlementaires et l’évolution de la rédaction du texte jusqu’à son adoption permettront peut-être d’améliorer ce point.

Pour finir en beauté, le gouvernement envisage d’offrir une faveur fiscale et sociale à ce nouveau plan de retraite : d’une part, une déductibilité fiscale élargie à tous les versements volontaires des épargnants, et d’autre part, une généralisation du forfait social réduit (16 %) pour les entreprises dès lors que le plan dispose d’une gestion pilotée et consacre une partie minimale des investissements à des titres destinés au financement des PME-ETI.

De prime abord, cette réforme semble répondre aux attentes : elle est simple et pertinente. La principale incertitude demeure dans les contraintes, délais, conditions qui seront laissés aux entreprises pour transformer ou non les dispositifs existants. Pour l’instant, les modalités d’application dans le temps de cette réforme et ses dispositions transitoires restent inconnues. Il faudra manifestement attendre les futures ordonnances annoncées pour voir ces dernières précisées.

D’ailleurs, il est intéressant de noter que ces ordonnances sont également appelées à revenir sur la définition des catégories de bénéficiaires des produits collectifs d’entreprise. Est-il permis d’imaginer, là aussi, une harmonisation de tous les dispositifs vers des catégories de titulaires unifiées ? Cela sera-t-il l’occasion de redéfinir les catégories objectives de personnel validées par les URSSAF, et notamment de tenir compte de la disparition des références aux affiliations AGIRC et ARRCO ?

2. Le cas particulier de la retraite à prestations définies « L.137-11 »

Depuis la loi « Fillon » de 2003, les régimes de retraite à prestations définies bénéficient d’un traitement social et fiscal prétendument « de faveur » (les augmentations successives des charges sociales y afférentes l’ayant presque rendu « de défaveur » depuis…) sous réserve notamment, que la constitution des droits à prestations soit conditionnée à l’achèvement de la carrière du bénéficiaire dans l’entreprise. Dit autrement, aucun droit n’est acquis, tant que le départ en retraite n’est pas intervenu.

Cette règle, qui entrave indirectement la libre circulation des travailleurs en les privant d’un droit à retraite en cas de départ de l’entreprise, et donc a fortiori de départ dans un autre État membre de l’Union européenne, est nécessairement incompatible avec la directive « Mobilité » qui interdit notamment toute période d’acquisition de droit supérieure à trois ans. Il faut donc impérativement rendre ces droits acquis.

On peut penser que la réforme à intervenir ira au-delà de ce seul objectif et sera l’occasion de créer un véritable cadre juridique des retraites à prestations définies.

Dès à présent, il semble admis que l’acquisition des droits serait plafonnée, par année, à 3 % de la rémunération de référence dans le cadre des régimes différentiels et à 1,5 % pour les régimes additifs. De plus, la rente viagère ne pourrait dépasser le montant le plus élevé entre huit plafonds annuels de sécurité sociale (soit 317.856 € en 2018) et 30 % de la rémunération de référence. Enfin, le dispositif devrait être géré à travers la souscription d’un contrat d’assurance.

Sous ces réserves, est annoncée la création d’un système de prélèvement social plus favorable que celui prévu par l’actuel article L.137-11 du Code de la sécurité sociale.

« En revanche, la question pourtant essentielle de la fiscalité des nouveaux régimes reste, semble-t-il, non tranchée»

En revanche, la question pourtant essentielle de la fiscalité des nouveaux régimes reste, semble-t-il, non tranchée. A ce jour, le financement des retraites à prestations définies échappe à l’assiette de l’impôt sur le revenu en raison de l’absence d’acquisition des droits par le bénéficiaire. A l’avenir, les avantages de retraite étant acquis année par année, quelle pourrait être la future fiscalité ?

Il faut évidemment espérer que l’absence d’imposition au stade du financement sera maintenue. L’argument qui milite en ce sens est l’existence d’un aléa viager. En effet, contrairement aux dispositifs à cotisations définies, l’assuré qui décède avant la retraite perd, en principe, tout droit au titre du régime à prestations définies. Mais cela sera-t-il suffisant ?

En tout état de cause, cette réforme doit dès maintenant être appréhendée par les entreprises en ce qu’elle aura une incidence importante sur le niveau de leurs passifs sociaux mais également en ce qu’elle changera l’utilisation et la finalité de ces dispositifs en tant qu’outil de gestion des ressources humaines.

L’enjeu est d’autant plus stratégique, au regard de la place de la retraite dans le panel de rémunération des cadres dirigeants et mandataires sociaux des grandes entreprises.

Cette réforme devrait surtout donner une nouvelle jeunesse à ces dispositifs.

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Charlotte Bertrand
Avocate Associée, Cabinet Fromont Briens
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